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JACQUOT « LE BÛCHEUX. »

Un plat fermé, plus grand que tous les autres plats ;
Et par ordre du Sire, — arrêt irrévocable —
On pouvait bien le voir, mais on n’y touchait pas.
Ce beau plat, triste objet d’une telle défense,
Avait un couvercle d’argent.
La femme n’en fit cas dans le commencement,
Trop de mets à la fois gardaient sa tempérance ;
Mais après un mois de bombance,
Après avoir goûté de tout,
Poulets, dindons rôtis, soupe, sauce et ragoût,
Voilà qu’elle se mit à tout prendre en dégoût.
Oui tout, hormis le plat défendu par le Sire.
Dès lors adieu l’appétit, le franc rire !
Elle ne mangeait plus, ou bien, — de temps en temps,
Si Madame mangeait, c’était du bout des dents. —
Jacquot, lui, n’en perdait une seule bouchée ;
Cependant ça le chagrinait
De voir sa Jacqueline en peine, et qui jeûnait,
Ne tenant la vue attachée
Que sur le plat couvert dont j’ai parlé tantôt.

— Voyons, femme, qu’as-tu ? lui demandait Jacquot,
N’es-tu pas mieux ici que dans notre chaumière ?
Dis, que te manque-t-il ? Quoi donc peut te déplaire ?
Parle au moins… si tu ne dis mot
Comment puis-je te satisfaire ?…

Jacqueline se prit alors à sangloter,
Et les enfants surpris voyant pleurer leur mère
Se mirent tous à l’imiter.
Je vous laisse à penser, lecteur, la sotte mine
Que le mari devait avoir.

Jacquot ! mon bon Jacquot ! murmurait Jacqueline,
Tu vois ta femme au désespoir,
Je n’ai jamais tant eu de chagrin dans ma vie…
Ces mets n’ont plus, pour moi, ni saveur ni vertu ;
Le seul plat qui me fasse envie
C’est celui-là, là-bas