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tous mes voyages, de participer aux incidents d’une triste histoire que la beauté qui en est le sujet raconte elle-même !… de la voir pleurer ! C’en seroit un plus grand encore de tarir la source de ses larmes ; mais si je ne parviens pas à la dessécher, n’est-ce pas toujours une sensation exquise d’essuyer les joues mouillées d’une belle femme, assis à ses côtés pendant la nuit et dans le silence !

Il n’y avoit certainement pas de mal dans cette pensée. J’en fis cependant un reproche amer et dur à mon cœur.

J’avois toujours joui du bonheur d’aimer quelque belle. Ma dernière flamme, éteinte dans un accès de jalousie, s’étoit rallumée depuis trois mois aux beaux yeux d’Eliza, et je lui avois juré qu’elle dureroit pendant tous mes voyages… Et pourquoi dissimuler la chose ? Je lui avois juré une fidélité éternelle : elle avoit des droits sur tout mon cœur. Partager mes affections, c’étoit diminuer ces mêmes droits..... Les exposer, c’étoit les risquer… Et là où il y a du risque, il peut y avoir de la perte. Et alors, Yorick, qu’auras-tu à répondre aux plaintes d’un cœur si rempli de confiance, si bon, si doux, si irréprochable ?…

Non, non, dis-je en m’interrompant, je