Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refuser de venir s’établir sur les branches de l’arbre solitaire qui nous ombrage, pourvu que j’entende la voix de ma bien aimée, elle suffit à mon extase ; le son harmonieux des sphères célestes n’y pourroit rien ajouter.

Il y a quelque chose de singulièrement satisfaisant, mon cher ami, dans l’idée de se dérober au monde ; — et quoiqu’elle ait toujours été d’une grande consolation pour moi, je n’en ai jamais été plus fier que lorsque j’ai pu l’effectuer au milieu même de la foule. — Cependant, lorsque cette foule nous presse et nous entoure, je ne connois que le pouvoir magique de l’amour qui puisse produire cette espèce d’aberration : — l’amitié, quelle que soit l’étendue de son empire, — la pure amitié n’a pas ce privilège. — Il faut un sentiment plus énergique pour plonger l’ame dans cet oubli délicieux. — Hélas ! il est aussi doux qu’il est de peu de durée ; — car, comme une sentinelle vigilante, le souci, toujours alerte et toujours envieux, nous arrache bientôt à ce délire enchanteur.

Quant à vous, mon ami, la réalité se mêle quelquefois à vos songes ; et moi, tout en jouissant de votre bonheur, j’exerce mon imagination à m’en créer le simulacre. — Je m’assieds donc sur le gazon ; je m’y place