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façonné sur aucune règle. — J’ai laissé mon imagination, mon génie, ou ma sensibilité, — nommez-les comme il vous plaira — je leur ai, dis-je, laissé carte-blanche, sans m’informer le moins du monde s’il avoit jamais existé d’homme qu’on appelât Aristote.

Quand j’ai monté sur mon dada, il ne m’est jamais venu dans l’idée de savoir j’allois, ni si je reviendrois dîner ou souper à la maison le lendemain, ou la semaine d’après. — Je l’ai laissé prendre sa course, aller l’amble, caracoler, troter, ou marcher d’un pas triste et languissant, selon qu’il lui plaisoit le mieux. — C’étoit pour moi la même chose ; car mon caractère étoit toujours à l’unisson de son allure, — quelle qu’elle fût ; jamais je ne l’ai touché du fouet ni de l’éperon, mais je lui mettois la bride sur le col, et il étoit dans l’usage de faire son chemin sans blesser personne.

Quelques-uns rioient en nous voyant passer, — d’autres nous regardoient d’un œil de pitié ; — de temps-en-temps quelque passant sensible et mélancolique jetoit les yeux sur nous, et poussoit un soupir. — C’est ainsi que nous avons voyagé ; — mais mon pauvre rossinante ne faisoit point comme l’âne de Balaam ; il ne s’arrêtoit pas toutes les fois