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Lettres

j’aime le rire et le divertissement autant qu’âme qui vive, mais je ne m’accoutume pas à l’idée d’être un des figurans de la danse des morts d’Holbein. D’ailleurs, ma route est bien avancée ; autant vaut dire qu’elle est finie, puisque plus de la moitié de mon temps se passe à tousser. Il est bien incivil : — que dis-je ? il est, ma foi, bien lâche à ce coquin de temps, de m’enlever les esprits avec lesquels je l’ai tué tant de fois !

Ce n’est pas tout. — J’ai encore quarante volumes à écrire ; je les ai annoncés de la manière la plus positive ; j’en ai pris l’engagement avec vous et avec moi. Cependant, si je ne puis me ravoir de ma maigreur anatomique, comment tiendrai-je ma parole d’auteur, d’honnête homme, et, ce qui est d’une bien plus grande importance, ma parole d’ami ? — ce n’est pas une besogne susceptible d’être faite par procureur : quand je nommerois cinquante exécuteurs testamentaires, en y joignant encore un régiment d’administrateurs et de substitus ; ils auroient beau prendre la plume et se mettre à l’ouvrage ; ils n’opèreroient jamais comme moi.

Mais, comme mon imagination galoppe ! — comme je me laisse entraîner au courant de ma plume ! — je suis à cent lieues de