Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
300
Lettres

caractère. Si vous ne venez bientôt me voir, je prendrai des ailes un beau matin et je volerai chez vous ; mais je préférerois que vous vinssiez ici ; car je désire que nous soyons seuls. En un mot, je voudrois être votre Mentor, ne fût-ce que pour un pauvre petit mois. Soyez le mien le reste de l’année, et même jusqu’à la fin de mes jours, si cela vous plaît.

Mon cher ami, je ne prétends pas amortir, par un narcotique, cette sensibilité naturelle pour laquelle je vous aime ; ni cette bouillante imagination qui prête une grâce si intéressante à la jeunesse polie ; mais je désire bien sincèrement vous apprendre à ne pas trop rechercher le monde, et à ne pas vouloir lui plaire plus qu’il ne le mérite. Cependant, ne pensez pas, je vous prie, que je veuille plonger mon jeune Télémaque dans une méfiance aveugle et absolue. Loin de vous une passion aussi lâche et aussi vile ! je vous jeterois plutôt dans les bras de Calypso, afin, du moins, que quelques instans de plaisir fussent mêlés à vos peines ; mais entre se fier à tout le monde et ne se fier à personne, on trouve sur la route un point difficile à saisir ; et je connois si bien la carte, que je puis mettre le doigt dessus,