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Lettres

Hélas ! hélas ! mon pauvre garçon, vous êtes né avec des talens qui pourroient vous mener loin ; mais, si j’en crois mes pressentimens, vous avez un cœur qui vous empêchera toujours de percer : ce n’est pas, vous le savez, que je le soupçonne d’aucune chose basse ou rampante ; mais je tremble qu’au lieu de vous élever au-dessus de l’orage, vous ne vous soumettiez tranquillement à ses fureurs : je crains qu’ensuite vous ne preniez le parti de vous confiner dans quelque humble réduit, content d’y passer votre vie, et perdu pour la société.

De quel côté souffle le vent ? je n’en sais rien : je ne me sens pas même disposé à aller jusqu’à ma fenêtre, d’où peut-être je verrois passer un nuage qui m’en avertiroit. Je suis ici sur mes genoux, ou pour mieux dire, sur mon cœur, traitant une matière toujours accompagnée d’idées affligeantes. Je sais que vous ne ferez tort à personne, mais je crains que vous ne vous en fassiez à vous-même. J’ai une connoissance secrette de quelques circonstances que vous ne m’avez jamais communiquées, et qui ont alarmé ma tendresse pour vous ; non par elles-mêmes, mais par l’idée qu’elles me forcent de prendre de votre inclination et des légères nuances de votre