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tous, et pourquoi fermons-nous l’oreille à sa voix ? Salomon dit que l’oppression fait d’un sage un homme sot ; que fera-t-elle donc d’une ame tendre et ingénue qui se voit négligée ; trop pleine de respect envers l’auteur de l’injustice pour s’en plaindre, elle se tait pensive, accablée par le découragement. Cet enfant malheureux oublie tous les moyens de plaire ; il est né pour voir les autres chargés de caresses, le voilà dans un coin retiré de sa maison, nourrissant son cœur de larmes ; ses esprits succombent sous le poids que sa petite portion de courage ne peut pas secouer, il se flétrit, il meurt, triste victime du caprice !

Je me trouve amené, sans l’avoir prévu, vers une réflexion sur la conduite de Jacob envers son fils Joseph. Ce patriarche n’écouta pas la leçon de sagesse que les malheurs de sa famille lui avoient apprise ; ses yeux cependant avoient été témoins d’assez de chagrins pour les transmettre à sa mémoire ; il tomba dans le même excès d’affection pour cet enfant de Rebecca. « Israël, nous dit l’esprit saint, aimoit mieux Joseph que ses autres fils, c’étoit l’enfant de son vieil âge, et il lui fit un habit de plusieurs couleurs ». Ô Israël ! où étoit cet esprit prophétique qui te faisoit percer dans les siècles