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perte ; son fils Joseph, ce jeune homme d’un si belle espérance, fut séparé de lui par l’envie de ses frères : enfin, il fut traîné lui-même par la famine chez les Égyptiens dans son vieux âge, il alla mourir chez un peuple qui tenoit pour abominable de manger son pain avec lui. Malheureux patriarche ! ah ! tu devois bien dire que tes jours avaient été bien courts et bien tristes. Pharaon ne te demandoit que ton âge, mais pouvois-tu jeter un regard sur les jours de ton pèlerinage sans songer aux peines qui l’avoient accompagné. Ce qu’il y a de plus dans sa réponse est le regorgement d’un cœur qui saigne au souvenir de ses malheurs.

L’esprit ne peut pas supporter les maux qui nous sont brassés par les autres ; quant à ceux que nous nous préparons nous-mêmes, nous ne mangeons que le fruit que nos mains ont planté et arrosé ; une fortune, une réputation ébranlées, quand nous avons eu la satisfaction de les ébranler, passent naturellement en habitude : et le plaisir qu’a eu le malheureux sauve quelquefois au spectateur l’embarras de la pitié ; mais les malheurs comme ceux de Jacob qui ont été accumulés sur nous par des mains dont nous faisions notre appui, l’avarice d’un parent,