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plus ! mais peut-être mon ame se taira-t-elle quand je réfléchirai sur la manière dont je dois me comporter avec ce malheureux, il est Juif… je suis Samaritain… ah ! ne sommes-nous pas tous les deux des hommes, notre nature n’est-elle pas la même, ne sommes-nous pas sujets aux mêmes maux ? Changeons de condition un instant, si ce lot me fût échu dans mon voyage, qu’aurois-je attendu à sa place ? aurois-je désiré qu’en me voyant blessé demi-mort, il eût fermé à mon aspect ses entrailles, qu’il eût doublé le poids de ma misère, en passant auprès de moi sans en avoir pitié ? Mais je suis un étranger à l’égard de cet homme… soit. Suis-je étranger à sa condition ? les infortunes ne sont pas particulières à une nation, à une tribu, elles appartiennent à toutes, elles ont un droit universel sur tous, sans distinction de climat, de pays, ou de religion. Je suis un étranger ! mais ce n’est pas sa faute si je ne le connois point, et il est injuste qu’il en souffre. Si je le connoissois, peut-être aurois-je une juste raison de le plaindre, de l’aimer davantage ; peut-être homme d’un rare mérite, la vie, le bonheur des autres dé-