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En me disant cela, elle dégagea sa main avec un coup-d’œil qui me parut un commentaire suffisant sur le texte.

Je vais donner une misérable idée de la foiblesse de mon cœur, en avouant qu’il éprouva une peine que des causes peut-être plus dignes n’auroient pu lui faire ressentir… La perte de sa main me mortifioit, et la manière dont je l’avois perdue ne portoit point de baume sur la blessure… Je sentis alors plus que je n’ai jamais fait de ma vie, le désagrément que cause une sotte infériorité.

Mais de pareilles victoires ne donnent qu’un triomphe momentané ; un cœur vraiment féminin n’en jouit pas long-temps. Cinq ou six secondes changèrent la scène ; elle appuya sa main sur mon bras pour achever sa réplique, et je me remis, sans savoir comment, dans ma première situation.

J’attendois qu’elle me parlât… elle n’avoit rien à y ajouter.

Je donnai alors une autre tournure à la conversation. La morale et l’esprit de la sienne m’avoient fait voir que je n’avois pas bien saisi son caractère. Elle tourna son visage vers moi, et je m’aperçus que le feu qui l’avoit animé pendant qu’elle me parloit, s’étoit évanoui… ses muscles s’étoient relâ-