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Eh bien ! l’homme prudent pourra-t-il dire, mes désirs iront jusques-là, mais pas plus loin ? l’homme circonspect osera-t-il se promettre, quand le plaisir a pris possession entière de son cœur, qu’il ne s’y élèvera pas une pensée, pas un projet qu’il devroit celer ? ah ! dans ces momens imprévus, commande-t-on à son imagination ? en dépit de la raison et de la réflexion, elle nous emporte au-delà du terme. Voilà, me direz-vous, le récit le moins favorable que vous ayez pu nous faire. Pourquoi ne supposez-vous pas que les convives, exercés à la vertu dans les dangers, ont appris graduellement à triompher d’eux-mêmes, que leurs esprits sont assez en garde contre les impressions funestes pour que le plaisir ne les corrompe pas si aisément ? il est pénible de penser que de cette foule de conviés à la maison de fête, peu en sortent avec l’innocence qu’ils y ont apportée. Si les deux sexes étoient enveloppés dans cette supposition, nous resteroit-il quelques exemples de la pureté et de la chasteté ? non, la maison de fête avec ses charmes n’excita jamais un désir, elle n’éveilla jamais une pensée dont la vertu puisse rougir, ou que la plus scrupuleuse conscience doive se reprocher.