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ne put plus faire son office. Elle glissa à travers le gant, et s’échappa de celle de ma belle. « Mon Dieu, dit-elle, qu’avez-vous ? » Je répondis très-à-propos, — ma foi, madame, je n’ai rien. « — Vous vous trouvez mal, monsieur : prenez une goutte de liqueur. Elle en avoit dans un cabinet à côté, et elle m’en présenta. Ce cordial produisit quelqu’effet : mais pas assez pour dissiper le trouble de mes esprits, occasionné par l’apparition seule du mari : ensorte que je n’eus pas le courage d’essayer de sa jolie main une seconde paire de gants. Mais je la priai de m’en mettre de côté une couple de paires des plus petits. « De quelle couleur, monsieur les veut-il ? — noirs. — Comment, avec des rubans noirs, sans être en deuil ? » Je la tirai d’inquiétude, en lui disant que j’étois ecclésiastique, et que quoique je ne fusse pas en deuil, je ne pouvois pas décemment porter des gants, même des gants d’amour, qui seroient d’une couleur plus éclatante.

Les gants que j’avois essayé, et la frayeur que m’avoit causée le mari, m’avoit fait oublier le sujet qui m’avoit amené dans cette boutique. — Mais la vérité est qu’avant de passer dans l’arrière-boutique j’avois déjà pris mes mesures ; c’est-à-dire, que je m’étois