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nombre de passans, je jugeai qu’il demandoit l’aumône, et je préparai quelque monnoie pour la lui donner, quand il s’adresseroit à moi en passant..... Mais il passa sans me rien demander, et cependant ne fit pas six pas sans s’arrêter vis-à-vis d’une petite femme qui venoit devant lui..... J’avois plus l’air de lui donner qu’elle. À peine eut-il fini, qu’il ôta son chapeau à une autre qui venoit par le même chemin. Un monsieur d’un certain âge avançoit lentement, il étoit suivi d’un jeune homme fort bien mis… Il les laissa passer tous deux sans leur rien demander… Je restai à l’observer une bonne demi-heure, et il fit pendant ce temps une douzaine de tours en avant et en arrière, en suivant constamment la même conduite.

Il y avoit dans cela deux choses bien singulières, et qui me faisoient faire inutilement beaucoup de réflexions ; c’étoit de savoir d’abord pourquoi il ne contoit son histoire qu’aux femmes ; et ensuite quelle espèce d’éloquence il employoit pour toucher leurs cœurs, en jugeant apparemment qu’elle étoit inutile pour émouvoir ceux des hommes.

Deux autres circonstances me rendoient encore ce mystère plus impénétrable ; l’une, qu’il disoit tout bas à chaque femme ce