Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une si belle teinte sur le visage charmant de la jeune beauté, que je crus qu’elle rougissoit… Cette idée me fit rougir moi-même… Nous étions seuls, et cette circonstance me donna une seconde rougeur avant que la première fût dissipée.

Il y a une espèce agréable de rougeur qui est à moitié criminelle, et qui provient plutôt du sang que de l’homme lui-même..... Le cœur l’envoie avec impétuosité, et la vertu vole à sa suite non pas pour la rappeler, mais pour en rendre la sensation plus délicieuse… elles vont de compagnie…

Je ne la décrirai pas… Je sentis d’abord quelque chose en moi qui n’étoit pas conforme à la leçon de vertu que j’avois donnée la veille sur le quai de Conti ; je cherchai une carte pendant cinq ou six minutes, quoique je susse que je n’en avois point...... Je pris une plume… je la replaçai ; ma main trembloit, le diable m’agitoit.

Je sais aussi bien que tout autre que c’est un ennemi qui s’enfuit si on lui résiste ; mais il est rare que je lui résiste, de peur d’être blessé au combat, quoique vainqueur..... j’aime mieux, pour plus de sûreté, céder le triomphe ; et c’est moi-même qui fuis, au lieu de le faire fuir.