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pour chercher un sentier velouté et uni, que l’imagination a jonché de boutons de roses. J’y fais quelques tours, et j’en reviens plus robuste et plus frais. Lorsque le mai m’accable, et que ce monde ne m’offre aucune retraite pour m’y soustraire, je le quitte, et je prends une nouvelle route… et comme j’ai une idée beaucoup plus claire des champs Élisées que du Ciel, je fais comme Enée, j’y entre par force… Je le vois qui rencontre l’ombre pensive de sa Didon abandonnée, qu’il cherche à reconnoître… Elle l’aperçoit, se détourne en silence de l’auteur de sa misère et de sa honte… Mes sensations se perdent dans les siennes, et se confondent dans ces émotions qui m’arrachoient des larmes sur son sort lorsque j’étois au collège.

Ce n’est certainement pas là courir après une ombre vaine et se tourmenter inutilement pour la saisir : on se tourmente bien plus souvent en confiant le succès de ces émotions à la seule raison. J’assurerai hardiment que quant à moi, je ne fus jamais plus en état de vaincre aussi décidément une seule sensation désagréable dans mon cœur, qu’en y excitant à sa place une autre plus douce et plus agréable.