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cœur est bon, et ce seroit dommage qu’on vous le dérobât… C’est pour vous un trésor précieux… Il vous donne un meilleur air que si vous étiez parée de perles et de diamans.

La jeune fille m’écoutoit avec une attention docile, et elle tenoit sa bourse par le ruban. Elle est bien légère, lui dis-je en la saisissant… et aussitôt elle l’avança vers moi… Il y a bien peu de chose dedans, continuai-je. Mais soyez toujours aussi sage que vous êtes belle, et le ciel la remplira… J’avois encore dans la main quelques écus qui avoient été destinés à l’achat de Shakespéar ; elle m’avoit tout-à-fait laissé aller sa bourse, et j’y mis un écu. Je nouai le ruban, et je la lui rendis.

Elle me fit, sans parler, une humble inclination… C’étoit une de ces inclinations tranquilles et reconnoissantes, où le cœur a plus de part que le geste. Le cœur sent le bienfait, et le geste exprime la reconnoissance. Je n’ai jamais donné un écu à une fille avec plus de plaisir.

Mon avis ne vous auroit servi à rien, ma chère, sans ce petit présent, quand vous verrez l’écu, vous vous souviendrez de l’avis. N’allez pas le dépenser en rubans…