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ses souliers poudreux annonçoient pour un voyageur. Il avoit posé son havresac sur le banc, entre le pauvre et lui, et par-dessus son havresac il avoit mis son épée et son chapeau. — Il s’essuyoit le front avec la main, et paroissoit reprendre haleine pour continuer sa route. — Son chien (car il avoit aussi son chien) étoit assis par terre à côté de lui, regardant les passans d’un air fier.

Ce second chien me fit mieux remarquer le premier, qui étoit noir, fort laid et à moitié pelé ; et je m’étonnois que le vieillard, réduit à la dernière misère, voulût ainsi partager avec lui une subsistance rare et souvent incertaine. — L’air dont ils se regardoient tous deux, m’éclaira sur-le-champ. — « Ô de tous les animaux le plus aimable et le plus justement aimé, m’écriai-je en moi-même ! — C’est toi qui es le compagnon de l’homme, — son ami, — son frère. — Toi seul lui restes fidèle dans le malheur ! — Toi seul ne dédaignes pas le pauvre...... Si l’habitude de vivre auprès du riche ne t’a pas corrompu ! — Ce bon vieillard méprisé, délaissé, rebuté par le monde entier, trouve en toi un ami qui l’accueille, et qui lui sourit : et sur le lit de paille qu’il partage avec toi, sa misère lui paroît moins affreuse, il n’est pas