Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voyez un peu la nouvelle Zemble, la Laponie septentrionale, et toutes ces froides et horribles contrées qui sont situées sous les cercles arctiques et antarctiques. Examinez-en les habitans. L’emploi habituel d’un homme pendant neuf mois entiers de l’année, est de se tapir dans le compas étroit de la caverne que la nature lui a creusée. Ses esprits comprimés et resserrés sont presque réduits à rien ; ses passions sont aussi froides que la zône elle-même : il ne respire qu’à peine. Par tout là, la plus petite fraction possible de jugement est suffisante. Il y en a assez pour toutes les affaires… Et d’esprit ? l’épargne en est totale et absolue. Ils n’en ont pas besoin d’une seule étincelle, et il n’y en a pas une seule étincelle donnée. Anges et ministres de la grâce, puissances célestes, protégez-nous ! quelle horreur ne seroit-ce pas, si ces nations avoient un royaume à gouverner, une bataille à livrer à des ennemis redoutables, un traité à faire, et seulement quelque chapitre de moines à tenir ? Et si du peuple on descend à chaque individu, quel est celui qui pourroit se flatter du moindre succès avec aussi peu d’esprit et de jugement ? de placer un protégé ? de maquignonner un mariage ? d’écrire un livre,