Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas sur ses chagrins ? Un homme aussi réglé dans ses mœurs, aussi estimable par ses bonnes qualités, et qui, quoique singulier dans ses opinions, étoit aussi bienfaisant, devoit-il être ainsi balloté par des revers, joué et tracassé dans ses systèmes par une suite d’événemens contraires à ses souhaits, et qui sembloient ne se réunir uniquement contre lui, que pour insulter à ses spéculations ? Qui pourroit n’être pas touché de voir ce digne et honnête homme accablé de vieillesse, et peu propre à soutenir les coups de la fortune adverse, souffrir dix fois par jour des douleurs aiguës, en appelant Tristram, l’enfant de ses prières ?… Triste dissyllabe, dont le son seul, à ses oreilles, étoit en unisson avec celui de tous les autres noms les plus vils. — Mais je jure ici par ses cendres, que si jamais quelque esprit malin prit plaisir à traverser les desseins des foibles mortels, il devoit exercer son humeur malfaisante dans cette occasion-ci. — Le désastre qui arriva à mon père, et qui fut cause que je porte le nom de Tristram, mérite d’être connu ; et s’il n’étoit pas nécessaire que je fusse né avant d’être baptisé, je ferois au lecteur la relation de cette catastrophe : mais on voit bien qu’il faut de l’ordre dans les choses.