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état anormal, crépusculaire en quelque sorte, intermédiaire entre l’être et le non-être, entre le vouloir et le non-vouloir, déprimé ou exalté, hors d’équilibre, exempt de souffrance, toutefois, autre que morale, et qui demeure, pour tous ceux qui m’y ont vue, un phénomène inexpliqué, sans relation appréciable ni avec la nature de mon esprit très-lucide, ni avec mon caractère très-résolu. De tout ceci, que sais-je ? et que pourrait-on savoir[1] ?

Je ne voudrais pas cependant, par mon doute, être cause qu’on prit le change. La licence que je donne parfois à mon imagination de s’échapper vers les régions occultes n’y entraîne pas ma raison. Au plus fort de ma vie dévote je n’ai connu ni l’extase ni les visions ; le monde séraphique de Swedenborg ne s’est jamais non plus ouvert à moi. Je n’ai de goût, je l’affirme, ni pour le monde des magnétiseurs, ni pour le monde des spirites. Je ne crois, est-il besoin de le dire, à rien de surnaturel, moins encore à une suspension, à une déviation, quelle qu’elle soit, dans le cours régulier des lois divines. Mais je crois à un ordre mystérieux de la nature infinie qui paraît surnaturel seulement à nos ignorances ; je reconnais l’existence

  1. « Je ne dis pas : cela est ; mais n’y aurait-il point quelque témérité à dire : cela n’est pas ? » écrit Senancour, en parlant de cette chaîne occulte de rapports qui rattache la vie humaine à l’infini incompréhensible de l’être cosmique.