Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/380

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes. Non-seulement je ne trouvais pas à madame Récamier d’esprit, au sens propre du mot, mais rien de particulier à elle[1], ni de bien intéressant. Pour langage, un petit gazouillement ; pour grâces, la cajolerie ; rien de nature et rien non plus d’un art supérieur ; rien surtout de la grande dame assurée en son maintien et qui porte haut son âge : l’hésitation dans la voix, l’hésitation dans le geste, et tout un embarras de pensionnaire vieillie[2].

Le salon de madame Récamier allait bientôt se fermer. Elle mourut dans cette même année 1849, d’une atteinte de choléra[3]. Déjà la révolution de 1848 avait eu son effet sur la vie du monde, et cet effet n’était pas, comme on peut croire, très-favorable.

Après la proclamation de la république démocratique , les salons du juste milieu prirent l’attitude qu’avaient eue les salons du faubourg Saint-Germain après la proclamation de la royauté bourgeoise. On

  1. Un mot me revient qui me donnerait tort. « Madame Récamier est arrivée à faire de la coquetterie une vertu », dit un jour un homme d’esprit. C’est à coup sûr une originalité curieuse et que j’aurais dû étudier avec plus de soin.
  2. Je demeurai touchée néanmoins d’un mot, le seul, qu’elle me dit très-simplement. Comme elle cherchait à se rappeler je ne sais plus quelle circonstance de sa vie d’autrefois : « C’est triste de vieillir, me dit-elle en s’interrompant ; les souvenirs deviennent confus ; mais ils restent aussi douloureux », ajouta-t-elle avec un accent profond de vérité.
  3. Elle était âgée de soixante et onze ans.