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longue habitude m’ait fait de la politesse une seconde nature, je n’ai pas appris l’art de feindre ce que je n’éprouve pas. Je ne sais pas composer avec ce qui m’ennuie. Les sots, les fats, les bavards, les précieux et les glorieux de toute sorte me causent un déplaisir mortel. Ils sentent confusément, à un je ne sais quoi qui les déconcerte, mon esprit distrait. Sans le vouloir, je les inquiète dans la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils me quittent mécontents ; ils n’ont pas fait d’effet, ils s’en sont aperçus ; ils s’en prennent à moi ; ils m’en gardent rancune : les voilà mes ennemis. Quant au mérite modeste que je voudrais accueillir, il m’arrive, quoi que je fasse, de l’intimider beaucoup trop, de le laisser trop à distance. Je n’en sais pas bien le motif, mais là encore je constate en moi un défaut, le plus opposé du monde à la vie de relations.

Réservée avec excès, lente en mes épanchements, aisément froissée par les familiarités hors de propos ; voulant trop qu’on me devine, craignant trop qu’on se méprenne ; trop sérieuse et trop spontanée pour ne pas paraître un peu étrange dans un monde où tout est factice et futile ; trop nonchalante aussi, trop fière pour les avances et les insistances : prompte à laisser aller ce qui s’en va, à laisser passer ce qui passe ; sans aucun souci de l’utile, et mauvaise gardienne des apparences ; appréhendant beaucoup de blesser, mais ne songeant jamais à flatter les amours-propres ; ne té-