Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

N’allant point à la cour, ne voyant plus ni les princes ni les hommes en place, ni les personnes en faveur ou en crédit, avec des fortunes suffisantes, mais rien au delà, nous n’avions plus guère d’importance en réalité ; nous n’exercions qu’une sorte d’influence négative de critique et de raillerie qui ne pouvait pas nous mener loin, et ne faisait illusion qu’à nous-mêmes, encore tout au plus.

Une chose cependant était favorable, sinon à l’importance, du moins à l’amusement de la jeune noblesse légitimiste, — c’est le nom qu’on donna après 1830 aux royalistes fidèles à la branche aînée, pour les distinguer des royalistes orléanistes : — n’étant plus sous les yeux de la Dauphine et de nos vieilles douairières, nous nous sentions délivrées d’une surveillance qui ne nous avait pas permis jusque-là d’ouvrir nos salons à des personnes nouvelles, à des hommes de condition moindre, bourgeois, anoblis, écrivains, artistes, dont la célébrité commençait à nous piquer de curiosité.

La duchesse de Rauzan fut la première, je crois, à secouer le préjugé. Du vivant de sa mère elle ne passait pas pour femme d’imagination, bien au contraire ; au moment de la grande vogue d’Ourika, faisant allusion à son peu d’esprit, un mauvais plaisant avait dit que la duchesse de Duras avait trois filles : Ourika, Bourika et Bourgeonika[1]. Le sobriquet avait fait for-

  1. Par allusion au teint couperosé de la belle et spirituelle