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avait plus de temps à perdre, disait-on ; l’émeute gagnait du terrain. Le peuple avait abattu le drapeau blanc et hissé le drapeau tricolore à l’hôtel-de-ville ; on ne criait plus seulement : « À bas les ministres ! » mais : « à bas les Bourbons ! Vive Napoléon III ! Vive la République ! » Comme Maurice en était là de son récit, nous entendîmes tout à coup sonner le tocsin. Je ne connaissais pas plus ce bruit-là que celui des décharges. On m’expliqua ce qu’il signifiait ; au frisson qui courut dans mes veines, je sentis pour la première fois le souffle des révolutions.

Vers une heure de l’après-midi, les nouvelles qui nous vinrent avaient un autre accent. Nos amrs étaient rassurés. L’état de siège était proclamé ; Foucauld (le vicomte de Foucauld, colonel de gendarmerie) avait l’ordre d’arrêter Lafayette, Laffitte, Mauguin, Salverte, etc. Quatre colonnes de troupes commandées par Talon, Saint-Chamans, Quinsonnas et Wall, étaient en marche pour arrêter l’insurrection. Le canon allait balayer les rues.

Mon cœur se serra, je ne saurais trop dire sous l’empire de quels sentiments. Je n’avais aucune peur personnelle. Je ne songeais pas aux princes, je ne faisais assurément pas de vœux pour l’insurrection, dont je ne connaissais ni le but ni les chefs, mais j’étais émue d’une grande pitié à la pensée de ceux qui allaient mourir, et, sans bien savoir ce qu’il voulait, je