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Plus tard encore, après une longue absence, je la retrouvai, en pleine lutte de journalisme, telle que je l’avais vue pour la première fois dans le salon de ma mère, spontanée dans son élan vers moi, cordiale, et d’une effusion charmante. Son naturel n’était pas changé, mais son air et son maintien. Elle avait un peu, par rapport à son mari, dans le monde, le rôle que sa mère avait eu jadis par rapport à elle. Émile de Girardin, qu’elle avait épousé en 1831, restait dans les salons, quand on l’y voyait, concentré, taciturne. Ni chez elle ni chez d’autres, il ne prenait part à l’entretien. Dans le petit appartement qu’ils occupaient rue Laffitte, et où elle attirait toutes les célébrités littéraires, Lamartine, Victor Hugo, Balzac, Théophile Gautier, Eugène Sue, etc., le rédacteur en chef de la Presse avait pris et fait accepter une habitude singulière. Dès après le repas, qu’il y eût ou non des convives, il s’enveloppait d’un grand châle et, dans un coin du salon, il sommeillait jusqu’à l’heure où le soin de son journal l’appelait à l’imprimerie. Il disparaissait alors sans bruit, sans prendre congé de personne ; la conversation ne s’interrompait pas. Commencée sans lui, elle s’achevait de même, ou plutôt elle ne s’achevait pas, car l’esprit, plus brillant de jour en jour, la verve étincelante de madame de Girardin, devenue, dans l’intérêt du journal, le piquant vicomte de Launay, était intarissable et ne souffrait pas de repos.