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Outre la distraction que l’on cherchait pour moi dans les bals et les parures, les médecins ayant conseillé le grand air, on me menait souvent en promenade au bois de Boulogne.

J’ai quelque peine aujourd’hui, tant il est changé dans son aspect pittoresque, et, si l’on peut ainsi dire, dans sa physionomie morale, à me remettre devant les yeux ce qu’était alors ce bois, et quelle place il occupait dans la vie parisienne.

On y arrivait par la grande route postale, en tout temps boueuse ou poudreuse. Il était clos de murs, coupé à angles droits d’allées monotones qui se croisaient dans des taillis d’arbres rabougris, dans d’arides clairières, où naguère campaient tes alliés.

On n’y avait ouvert aucune perspective. Il n’offrait d’autre point de ralliement que la mare d’Auteuil, où coassaient, dans une eau stagnante, sous l’immobile tapis d’une végétation visqueuse, d’innombrables et insupportables grenouilles.

Ce bois paraissait si loin, si loin de Paris, le chemin en était si long, si maussade, qu’on y allait rarement ; c’était une affaire d’État. Sauf les jours de Longchamp, le vendredi saint surtout, où l’on s’y faisait voir dans un nouvel équipage, les cochers de bonne maison regimbaient contre une telle corvée. Ils prétextaient d’un accident subit : un cheval qui boitait, sans qu’on sût du tout comment ; un harnais