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lait savoir ce que l’on répondrait à une demande formelle, lorsqu’elle nous serait faite, j’en ressentis un trouble, une joie extrême, et que je ne confiai à personne.

Comment celui qui me l’inspirait ne l’a-t-il pas devinée ? Comment, dans l’espace de deux, années que nous nous vîmes presque chaque jour, a-t-il pu ne pas sentir que la différence des âges disparaissait à mes yeux dans la ressemblance des goûts et des pensées ? qu’à l’éclat de la jeunesse, qui brillait dans d’autres yeux, je préférais sa mélancolie ; à l’expansion bruyante des plus gais entretiens, sa gravité ; aux hommages déclarés de mes hardis prétendants, son assiduité craintive et, par-dessus tout, son silence ?

Cependant les jours s’écoulaient et M. de Lagarde ne s’expliquait pas. Il n’osait, — c’est du moins ce que me dit plus tard l’amie pour laquelle il n’avait pas de secret, — tant il redoutait un refus qui lui eût commandé de s’éloigner. Il me voyait si jeune, je lui paraissais si belle, et il me savait si recherchée, qu’il faisait sur lui-même, sur son âge, sur le déclin des ans, des retours cruels. Il hésitait ; il s’enhardissait en venant vers nous ; y était-il, il perdait aussitôt courage. Quand il me voyait au bal dans mes fraîches parures, quand je faisais devant lui de ces longs projets qui ne comptent ni avec le temps, ni avec la maladie, ni avec la mort, il devenait tout à coup pensif ; il nous quit-