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cicatrice d’un coup de feu, reçu à bout portant, en pleine poitrine, dans une lutte sanglante où il avait tenté d’arracher à la rage des fanatiques des hommes de bonne foi qui voulaient prier Dieu selon leur conscience[1].

Il venait, dans son ambassade d’Espagne, de donner de ses talents l’opinion la plus haute. On l’avait nommé pair de France. M. de Lagarde avait beaucoup voyagé, pratiqué les affaires, fréquenté les princes et vu de près les cours. Il connaissait le monde et la vie ;

  1. On se rappelle que le général de Lagarde, commandant la division militaire dans le Gard, fut envoyé à Nîmes pour contenir les troubles religieux. Le duc d’Angoulème en quittant la ville (7 novembre 1815) avait ordonné la réouverture du temple protestant. Le chef de bandes Trestaillon excitant la population catholique à la révolte, M. de Lagarde n’hésita pas à le faire arrêter, mais un des agents de Trestaillon continua son œuvre. Le jour de l’ouverture du temple, pendant le service, une multitude fanatisée et armée assaillit les portes de la maison de prière et se rua sur les protestants ; un affreux massacre commençait, quand le général, averti, accourut à la tête d’une poignée d’hommes ; presque seul, il poussa son cheval au plus fort de la mêlée. De la voix et du geste, il s’efforçait de calmer ces furieux, de leur arracher leurs victimes, quand l’un d’eux, un garde national nommé Boivin, saisissant la bride de son cheval, lui appuie sur la poitrine une arme à feu. Le coup part. Atteint presque mortellement, le général Lagarde se soutient encore quelques instants, malgré le sang qu’il perdait à flots, et menaçait les révoltés de sa main mourante. Enfin il chancelle, les siens arrivent, on le tire de la mêlée, on l’emporte sur un brancard. Longtemps il demeura entre la mort et la vie, et jamais il ne se remit entièrement des suites de cette profonde blessure.