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tenue pour achevée. Toute une année passée dans la classe supérieure d’un grand pensionnat, la couronne de science posée sur mon front par la main d’un prélat vénérable ne permettaient à cet égard aucun doute : je savais tout, absolument tout ce qu’une demoiselle de mon rang devait savoir. J’allais, du consentement général de l’opinion, sous les yeux d’une mère idolâtre, faire mon entrée dans le monde : aller au bal, au concert, à l’Opéra italien[1] ; danser, chanter, jouer du piano, plaire et m’amuser, du mieux que je pourrais, dans la plus noble et la plus élégante compagnie de France. Il n’y avait ni à délibérer sur ce point, ni à consulter mes goûts, ni à se régler sur mon caractère : tout le monde faisait ainsi ; nous ferions comme tout le monde; c’était alors, ce sera peut-être toujours le dernier mot de la sagesse française.

Ma mère, quoique très-allemande par certains côtés, protestante de naissance et d’éducation, ne réagissait aucunement contre cette sagesse toute française, et au fond, dans sa frivolité, toute catholique. Elle laissait faire l’usage et sans peine s’y conformait. Le tour de son esprit ne la portait pas à la critique des choses

  1. Dans un très-grand nombre de familles du faubourg Saint-Germain, on ne conduisait pas les jeunes filles au spectacle ; mais on faisait exception, de l’avis même du confesseur, pour le théâtre italien ; et cela, par deux considérations assez bizarres : les chanteurs italiens n’étaient point excommuniés, et l’on ne comprenait pas les paroles du libretto !