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bleus, limpides, une blonde chevelure qui ruisselait à longs flots, un regard, un sourire rêveurs[1], je semblais une princesse des légendes du Rhin ou des ballades de Schiller.

Ce qu’il y avait en moi de français : la précision dans les lignes du front, des sourcils, du nez, de la bouche, la démarche fière et légère, la facilité du rire et le pli moqueur aux lèvres, ne s’accentua que plus tard. En cette éclosion de mon printemps, en ce crépuscule du matin, tout restait vague encore et comme indéterminé. Apparition, illusion, fantôme aérien, j’appartenais aux songes plus qu’à la réalité.

Mon intelligence était comme mon corps jeune et candide. J’avais le désir de tout connaître, l’aptitude à tout comprendre. Mon éducation, très-brillante, était

    mon petit page disait, comme on l’a vu, que mademoiselle Marie était blanche comme du sucre, et Rossini, dans un bal où je me trouvais, à Milan, avec la belle, mais un peu noire comtesse Somaïloff, s’écriait en passant devant nous avec quelques jeunes gens : « Voyez, messieurs les Italiens, la différence qu’il y a entre le cuir de Russie et le satin français ! » Ce qui dominait dans l’impression que l’on paraissait recevoir de moi à première vue se traduisait invariablement par des exclamations où s’exprimait la sensation de lumière. Je crains bien qu’on ne m’accuse ici de fatuité. Il me semble, quant à moi, que je ne suis pas trop blâmable de garder, comme toutes les vieilles femmes, quelque complaisance pour le souvenir de la beauté passée. C’est le sentiment le plus naturel et le plus inoffensif du monde.

  1. Avec les années ce regard et ce sourire parurent, selon l’expression d’une persoune de mes amies, comme une douloureuse interrogation au destin.