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ôter toute force de discernement et toute faculté d’examen.

De notre conscience, rien ; de nos devoirs futurs, comme femme et comme mère, rien ; d’histoire naturelle, rien : la nature, c’est Satan.

Dans la piété, beaucoup de sensations, d’effusions provoquées dans les confidences du confessionnal, entretenues dans les larmes au pied du crucifix, dans le jeûne ou l’abstinence, par les images idolâtriques, par la lecture dangereuse des pages brûlantes d’une Thérèse, d’une Chantal, d’un Liguori, par tout un langage mystique qui, à l’âge où nous étions, ne pouvait autrement que nous jeter en langueur ou en extase.

Quand je me remets en mémoire toute cette perversion de nos sens et de nos imaginations, notre goût ainsi faussé à plaisir, des années entières employées à nous déshabituer de penser et de vouloir, à nous abêtir, à nous alanguir de corps et d’esprit, je ne sais ce qui l’emporte en moi de la tristesse où de l’indignation.

Temps précieux, heures premières du matin de la vie, où tout se grave en traits si purs, quel irréparable malheur que celui de vous avoir ainsi perdus !

Ô mes maîtres, ô mes guides, ô mes bons génies trop tard connus, lumières trop tard levées sur mon entendement ; rosées trop tardives sur ma moisson