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ler, se brosser, se peigner. Hiver comme été, en toutes circonstances, de l’eau froide, une toute petite cuvette, une serviette si grossière qu’on en évitait autant que possible le contact ; de miroir, on n’en voyait qu’à la sacristie[1].

J’entre dans ces détails qui me dispensent de toutes réflexions ; j’ajoute, pour l’enseignement du médecin et des mères de famille, un fait qui n’est pas, je crois, sans intérêt. Le changement total que la vie du couvent apportait dans mes habitudes produisit instantanément un effet physiologique très-singulier. Depuis deux: ans déjà la nature avait opéré en moi la crise par laquelle la constitution des jeunes filles achève de se former pour la maternité. À partir du jour où je quittai la maison maternelle, sa douce liberté, ses soins exquis, il se fit en moi un arrêt subit de ce mouvement régulier de la circulation. Je ne me rappelle pas en avoir souffert ; seulement j’engraissai d’une manière anormale, malgré la détestable nourriture dont je viens de parler. Les religieuses ou bien

  1. Il y avait cependant au couvent du Sacré Cœur de grandes dames qui avaient mené, avant d’y entrer, la vie du monde et connu toutes les recherches de l’élégance. Madame de Marbeuf, la veuve du gouverneur de l’île de Corse, me contait un jour toute la peine qu’elle avait eue à se déshabituer de la propreté. « Ma sœur, est-ce que je sens la crasse ? » demandait-elle incessamment, dans ses premières inquiétudes, à sa voisine de table ou de récréation. Mais on finit par se résigner à tout, me disait-elle, même à la crasse !