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Théodore Leclercq, passionné pour son plaisir et pour sa gloire, en fut ensemble le directeur, le décorateur, le machiniste, le costumier, l’acteur principal. Mon frère le secondait de son mieux. Une ravissante femme, alliée à ma grand’mère Lenoir, la comtesse de Nanteuil[1], dont la vie à quelque temps de là allait prendre un tour si romanesque, et que je devais retrouver en Touraine, dans de singulières conjonctures, prit les rôles d’amoureuses. Un capitaine de vaisseau, ami de mes parents, le comte d’Oysonville, accepta l’emploi des pères nobles. Pour compléter la troupe, M. Leclercq proposa sa sœur, très-jolie femme, désireuse de paraître dans un cercle aristocratique où, sans l’occasion de la comédie, elle n’eût pas eu d’accès naturel. Madame *** était la femme d’un notaire. Mariée jeune à un homme riche, mais avare et d’humeur morose, elle se distrayait autant qu’elle le pouvait de l’ ennui du foyer par le bal, le théâtre, la toilette et le bel esprit. On ne lui trouvait pas chez nous le ton de la plus haute compagnie, mais elle était empressée, spirituelle, avenante et bonne. Elle amusait ma grand’mère qui la protégeait contre les pruderies des femmes comme il faut. Mon frère s’était pris dans ses lacs, le sien s’était fait indispensable, et l’on ne pouvait plus se permettre de le désobliger.

  1. Elle était fille de la première femme de M. Lenoir dont on voit au Louvre le portrait peint par Chardin.