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de personnes et de choses qui me semblaient de nature à intéresser mes contemporains presque autant que moi, cette question qui m’a tenue longtemps incertaine :

Est-il bon, est-il sage d’ouvrir aux indifférents le livre de sa vie intime ? Est-il utile de dire à haute voix ce que nous ont dit tout bas les années ? Doit-on ou ne doit-on pas confier au public le dernier mot de son cœur et de son esprit ? Est-ce un acte de haute raison, est-ce chose inconsidérée que d’écrire et de publier ses mémoires ?

Je ne connais guère, pour ma part, de question plus délicate. Aussi l’ai-je portée en moi l’espace de dix années. Quand j’en avais l’esprit trop fatigué, je l’écartais brusquement. Revenait-elle, je la tranchais tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Mais rien ne pouvait’m’en délivrer, et toujours, au bout d’un certain temps, la question obstinée reparaissait. Toutes les fois que je lisais des correspondances ou des confessions — et j’en lisais souvent, ayant un goût prononcé pour ces sortes d’ouvrages, — mes tentations renaissaient avec mes perplexités.