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son dos le ballot de marchandises. Chaque année, ses épaules s’élargissant et ses muscles se fortifiant, il chargeait un ballot plus lourd. Chaque année aussi, mon petit pécule croissant avec les libéralités plus grandes de mes parents — récompense pour des devoirs bien faits, largesses pour le jour de ma fête — me mettait à même de faire de plus nombreux achats ; et ma relation avec le petit colporteur avait ainsi tout ensemble, c’est l’idéal d’ici-bas, quelque chose qui durait et quelque chose qui changeait.

Lorsque, après un an d’absence, les deux petits Auvergnats reparaissaient à la grille, quand nos chiens, défiants d’abord, puis hospitaliers dès qu’ils reconnaissaient la voix de mon ami, me l’annonçaient par de clairs aboiements, j’accourais tout émue ; quand le ballot s’ouvrait, quand s’étalaient les belles marchandises, c’était une surprise, un ravissement. Je prenais sans compter, sans marchander, de la main de mon ami, les étoffes, les bijoux les plus précieux : une croix d’or pour Généreuse, des dentelles de coton pour Adelheid, un tablier en taffetas gorge de pigeon pour Marianne, des fichus d’indienne, des paniers d’osier, des couteaux, des ciseaux pour les enfants des métayers et des vignerons… Mes munificences n’avaient pas de fin, non plus que ma joie. Je ne puis me rappeler le nom de mon petit colporteur. L’ai-je jamais su ? J’en doute. Qu’est-il devenu ? Je