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[Marseille], 24 mai 1838.

Ascension. Jour et soleil magnifiques. Ce soir, monde fou au Gymnase pour Mlle Séral qui danse les danses espagnoles. Les danses espagnoles font tant de plaisir en France parce qu’elles font voir le brio, que la vanité rend impossible en France, et le brio, qui serait si ridicule à Paris, est l’image du bonheur.

Il y a eu une danse de jalousie entre paysans qui a excité des transports ; on a jeté une couronne sur le théâtre. Quels gestes ignobles !

Que Mlle Chameroy serait surprise de voir applaudir ces choses ! Le lecteur, né peut-être vers 1812, ignore, et c’est tout simple, que, vers 1804, Mlle Chameroy fut une danseuse charmante qui mourut au commencement du Consulat et que les prêtres refusèrent d’enterrer, pour tâter le gouvernement du premier consul.

Quand il faudra que nous quittions la scène du monde bien vieux, bien vieux, nous ne pourrons jamais nous imaginer ce qu’on fera trente ans après nous. Rien de plus simple : le contraire de ce qu’on faisait de notre temps. Je me figurais l’élégante, la charmante Chameroy voyant applaudir Mlle Séral. Et qu’on ne s’y