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Depuis que je sais faire un peu cette guerre, je dédaigne souvent d’entrer en campagne ; un rien suffit pour m’inspirer du mépris. Je me gourmande, un an après, d’avoir méprisé ; mais ce sentiment est plus fort que moi, dans le moment sur le champ de bataille, et la raison, pour me consoler de cette malheureuse facilité à mépriser ce qu’il eût fallu aimer, vient me répéter ce qui est faux, c’est qu’à un certain âge il ne faut plus aimer. Tant qu’on est capable d’aimer pour son esprit charmant, pour sa naïveté parfaite, une femme parfaitement bête ou souverainement comédienne, tant qu’on peut avoir une illusion complètement absurde, on peut aimer. Et le bonheur est d’aimer bien plus que d’être aimé.

Arrivé à Montpellier dans une remise hideuse, à peine éclairée par deux mauvaises lampes, il faut régler avec le conducteur. Régler est un terme délicat pour payer. Or plusieurs voyageurs ne voulaient pas payer.

Ce spectacle ignoble est trop fort pour moi ; au lieu de goûter ces détails comiques, comme eût fait Gil Blas, je suis allé regarder les étoiles et chercher la grande et la petite Ourse, ce qui conduit à l’étoile polaire. Ces détails me font horreur et je baisse les yeux comme devant un spectacle atroce.