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de trésorier de France). Après quoi le négociant dédaignait le commerce, bâtissait une belle maison dans la rue Chapeau-Rouge et aux Chartrons et vivait dans les honneurs et dans la gloire le reste de sa carrière, sablant de bon vin, donnant et recevant de bons dîners et ravi de bonheur quand il recevait une politesse de M. l’intendant, de M. le Premier Président ou enfin, ce qui était le comble de la gloire, de M. le Gouverneur de la Province qui était le roi du pays, quand la cour lui permettait de venir dans son gouvernement.

Le négociant trésorier de France tâchait de placer son fils dans le Parlement. Peu de fils de riches négociants continuaient le commerce. Les deux heures de présence au comptoir ou à la Bourse lui semblaient un assujettissement horrible. Il se livrait en entier au caractère de viveur, inhérent au pays et qui dure encore.

Dans une époque intellectuelle, il y a un siècle par exemple, en 1738, un tel caractère constituait un pays dans un état d’infériorité. À une époque d’hypocrisie et de tristesse ambitieuse, la sincérité et la franchise qui accompagnent le caractère viveur placent le Bordelais au premier rang parmi les produits intellectuels et moraux de la France.