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l’office, il prenait sa harpe, et sa femme chantait. La naissance de Joseph ne changea point les habitudes de ce ménage paisible. Le petit concert de famille revenait tous les huit jours, et l’enfant, debout devant ses parents, avec deux petits morceaux de bois dans les mains, dont l’un lui servait de violon et l’autre d’archet, accompagnait constamment la voix de sa mère. J’ai vu Haydn, chargé d’ans et de gloire, se rappeler encore les airs simples quelle chantait, tant ces premières mélodies avaient fait d’impression sur cette âme toute musicale ! Un cousin du charron, nommé Frank, maître d’école à Haimbourg, vint à Rohrau un dimanche, et assista à ce trio. Il remarqua que l’enfant, à peine âgé de six ans, battait la mesure avec une exactitude et une sûreté étonnantes. Ce Frank savait fort bien la musique : il offrit à ses parents de prendre le petit Joseph chez lui, et de la lui enseigner. Ceux-ci reçurent la proposition avec joie, dans l’espérance de réussir plus facilement à faire entrer Joseph dans les ordres sacrés, s’il savait la musique.

Il partit donc pour Haimbourg. Il y avait à peine séjourné quelques semaines, qu’il découvrit chez son cousin deux tympanons, sortes de tambours. À force d’essais et de patience, il réussit à former sur cet instrument, qui n’a que deux tons, une espèce de chant qui attirait l’attention de tous ceux qui venaient chez le maître d’école.

Il faut avouer, mon ami, qu’en France, dans une classe du peuple aussi pauvre que la famille d’Haydn, il n’est guère question de musique.

La nature avait donné à Haydn une voix sonore et délicate. En Italie, à cette époque, un tel avantage eût pu devenir funeste au petit paysan : peut-être Marchesi eût eu un émule digne de lui, mais l’Europe attendrait encore son sympho-