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qui fait partie de la politique savante de la maison d’Autriche, a porté les peuples vers des plaisirs plus physiques, et moins embarrassants pour ceux qui gouvernent.

Cette maison a eu des rapports fréquents avec l’Italie, dont elle possède une partie ; plusieurs de ses princes y sont nés. Toute la noblesse de Lombardie se rend à Vienne pour solliciter de l’emploi, et la douce musique est devenue la passion dominante des Viennois. Métastase a vécu cinquante ans parmi eux[1] ; c’est pour eux qu’il composa ces opéras charmants que nos petits littérateurs à la Laharpe prennent pour des tragédies imparfaites. Les femmes ici ont de l’attrait ; un teint superbe sert de parure à des formes élégantes : l’air plein de naturel et quelquefois un peu languissant et un peu ennuyeux des Allemandes du nord, est mélangé ici d’un peu de coquetterie et d’un peu d’adresse ; effet de la présence d’une cour nombreuse. En un mot, à Vienne, comme dans l’aucienne Venise, la politique et les raisonnements à perte de vue sur les améliorations possibles étant défendus aux esprits, la douce volupté s’est emparée de tous les cœurs. Je ne sais si cet intérêt des mœurs, dont on nous ennuie si souvent, y trouve son compte ; mais ce dont vous et moi sommes sûrs, c’est que rien ne pouvait être plus favorable à la musique. Cette enchanteresse l’a emporté ici même sur la hauteur allemande; les plus grands seigneurs de la monarchie se sont fait directeurs des trois théâtres où l’on chante ; ce sont eux encore qui sont à la tête de la Société de musique, et tel d’entre eux dépense fort bien huit ou dix mille francs par an pour les intérêts de cet art. On est peut-être plus

  1. Né en 1698, appelé à Vienne en 1750, il y vécut jusqu’en 1782.