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trente-deux faubourgs de Vienne, où vivent cent soixante-dix mille habitants de toutes les classes. Le superbe Danube touche, d’un côté, à la ville du centre, la sépare du faubourg de Léopoldstat, et, dans une de ses îles, se trouve ce fameux Prater, la première promenade du monde, et qui est aux Tuileries, à l’Hyde-Park de Londres, au Prado de Madrid, ce que la vue de la baie de Naples, prise de la maison de l’ermite du mont Vésuve, est à toutes les vues qu’on nous vante ailleurs. L’île du Prater, fertile comme toutes les îles des grands fleuves, est couverte d’arbres superbes, et qui semblent plus grands là qu’ailleurs. Cette île, qui présente de toutes parts la nature dans toute sa majesté, réunit les allées de marronniers alignées par la magnificence, aux aspects sauvages des forêts les plus solitaires. Cent chemins tortueux la traversent ; et quand on arrive aux bords de ce superbe Danube, qu’on trouve tout à coup sous ses pas, la vue est encore charmée par le Léopoldsberg, le Kalemberg, et d’autres coteaux pittoresques qu’on aperçoit au delà. Ce jardin de Vienne, qui n’est gâté par l’aspect des travaux d’aucune industrie cherchant péniblement à gagner de l’argent, et où quelques prairies seulement interrompent de temps en temps la forêt, a deux lieues de long sur une et demie de large. Je ne sais si c’est une idée singulière, mais pour moi ce superbe Prater a toujours été une image sensible du génie d’Haydn.

Dans cette Vienne du centre, séjour d’hiver des Esterhazy, des Palfy, des Trautmansdorff, et de tant de grands seigneurs environnés d’une pompe presque royale, l’esprit n’a point le développement brillant que l’on trouvait dans les salons de Paris avant notre maussade révolution. La raison n’y a point élevé ses autels comme à Londres ; une certaine réserve,