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d’Apollon ; et si je parviens à y découvrir quelque étincelle qui ne soit pas tout à fait éteinte, je sors l’àme pleine d émotion et de tristesse. Voilà donc ce qui reste d’un des plus grands génies qui aient existé !


Cadono le cità, cadono i regni
E’l nom d’esser mortale, par che si sdegni.

Tasso, c. ii.


Voilà, mon cher Louis, tout ce que je puis vous dire avec vérité de l’homme célèbre dont vous me demandez des nouvelles avec tant d’instances. Mais à vous qui aimez la musique d’Haydn, et qui désirez la connaître, je puis donner bien d’autres détails que ceux qui sont relatifs à sa personne. Mon séjour ici et la société que j’y vois me mettent à même de vous parler au long de cet Haydn dont la musique s’exécute aujourd’hui du Mexique à Calcutta, de Naples à Londres, et du faubourg de Péra jusque dans les salons de Paris.

Vienne est une ville charmante. Figurez-vous une réunion de palais et de maisons très-propres, habités par les plus riches propriétaires d’une des grandes monarchies de l’Europe, par les seuls grands seigneurs auxquels on puisse encore appliquer ce nom avec quelque justesse. Cette ville de Vienne, proprement dite, a soixante-douze mille habitants, et des fortifications qui ne sont plus que des promenades agréables : mais heureusement, pour laisser leur effet aux canons, qui n’y sont point, on a réservé tout autour de la ville un espace de six cents toises de large, dans lequel il a été défendu de bâtir. Cet espace, comme vous le pensez bien, est couvert de gazon et d’allées d’arbres qui se croisent en tout sens. Au delà de cette couronne de verdure sont les