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le dîner ; moi, je suis piqué de ce que M. le vicomte de V…, abusant de la rapidité de son cheval anglais, m’a coupé avec son carrick, dans la plaine de Saint-Gratien, et a couvert de poussière les dames que j’avais dans ma jolie calèche neuve ; mais je le lui rendrai bien, ou mon cocher aura son congé. Toutes ces idées-là sont à mille lieues d’un jeune Italien allant recevoir des dames à sa villa. Vous souvient-il d’avoir lu le Marchand de Venise de Shakespare ? Si vous vous rappelez Gratiano disant :

Let me play the fool
With mirth, etc.

voilà la gaieté italienne ; c’est de la gaieté annonçant le bonheur : parmi nous elle serait bien près du mauvais ton ; ce serait montrer soi heureux, et en quelque sorte occuper les autres de soi. La gaieté française doit montrer aux écoutants qu’on n’est gai que pour leur plaire ; il faut même, en jouant la joie extrême, cacher la joie véritable que donne le succès.

La gaieté française exige beaucoup d’esprit : c’est celle de Le Sage et de Gil-Blas ; la gaieté d’Italie est fondée sur la sensibilité, de manière que, quand rien ne l’égaye, l’Italien n’est point gai.