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ou Shakspeare, et c’est ce qui fait que je ne comprends pas encore le succès de Haydn en France.

Son génie parcourt toutes les routes avec la rapidité de l’aigle : le merveilleux et le séduisant se succèdent tour à tour et sont peints des couleurs les plus brillantes. C’est cette variété de coloris, c’est l’absence du genre ennuyeux qui lui a peut-être valu la rapidité et l’étendue de ses succès. Il n’y avait pas deux ans qu’il faisait des symphonies, qu’on les jouait déjà en Amérique et dans les Indes.

Il me semble que la magie de ce style consiste dans un caractère dominant de liberté et de joie. Cette joie de Haydn est une exaltation tout ingénue, toute nature, pure, indomptable, continue : elle règne dans les allegro ; on l’aperçoit encore dans les parties graves, et elle parcourt les andante d’une manière sensible.

Dans les compositions où l’on voit, par le rythme, par le ton, par le genre, que l’auteur a voulu inspirer la tristesse, cette joie obstinée, ne pouvant se montrer à visage découvert, se transforme en énergie et en force. Observez bien : ce n’est pas de la douleur que cette sombre gravité, c’est de la joie contrainte à se masquer : on dirait la joie concentrée d’un sauvage ; mais de la tristesse, de l’affliction d’âme, de