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Je répliquai au compatriote de Stradella que la seule douceur des sons, quand ils seraient privés de toute mélodie, donne un plaisir bien réel, même aux âmes les plus sauvages. Lorsqu’en 1637 Murad IV, après avoir pris Bagdad d’assaut, ordonna qu’on fît main basse sur tous ses habitants, un seul Persan osa élever la voix : il s’écria qu’on le conduisît à l’empereur, qu’il avait des choses importantes à lui communiquer avant de mourir.

Arrivé aux pieds de Murad, Scakculi (tel était le nom du Persan) s’écria, la face contre terre : « Seigneur, ne fais pas périr avec moi un art qui vaut tout ton empire ; entends-moi chanter, et puis tu ordonneras ma mort. » Murad ayant fait un signe de consentement, Scakculi sortit de dessous sa robe une petite harpe, et improvisa une espèce de romance sur la ruine de Bagdad. Le farouche Murad, malgré la honte qu’éprouve un Turc à laisser paraître la moindre émotion, répandit des larmes et fit cesser le massacre. Scakculi le suivit à Constantinople, comblé de richesses ; il y introduisit la musique persane, dans laquelle aucun Européen n’a jamais pu distinguer un chant quelconque.

Je crois voir dans Haydn le Tintoret de la musique. Il unit, comme le peintre