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lui présentent avec une ardeur qu’il n’aurait pas dans un tout autre moment. Or il est évident que ces images doivent être différentes, suivant les diverses imaginations qui les produisent. Quoi de plus opposé qu’un gros Allemand, bien nourri, bien blond, bien frais, buvant de la bière, et mangeant des butterbrod toute la journée, et un Italien mince, presque maigre, très brun, l’œil plein de feu, le teint jaune, vivant de café et de quelques petits repas très sobres ! Comment diable veut-on que la même chose plaise à des êtres si dissemblables et parlant des langues si immensément éloignées l’une de l’autre ? Le même beau ne peut pas exister pour ces deux êtres. Si les rhéteurs veulent absolument leur donner un beau idéal commun, le plaisir produit par les choses que ces deux êtres admirent également sera nécessairement très faible. Ils admireront tous les deux les jeux funèbres du cinquième livre de l’Énéide ; mais dès que vous voudrez les émouvoir fortement, il faudra leur présenter des images précisément analogues à leurs natures si différentes. Comment voulez-vous faire sentir à un pauvre petit écolier prussien de Kœnigsberg, qui a froid onze mois de l’année, les églogues de Virgile, et la douceur de se trouver à l’ombre, à côté d’une source