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La Création commence par une ouverture qui représente le chaos. L’oreille est frappée d’un bruit sourd et indécis, de sons comme inarticulés, de notes privées de toute mélodie sensible ; vous apercevez ensuite quelques fragments de motifs agréables, mais non encore bien formés, et toujours privés de cadence ; viennent après des images à demi ébauchées, les unes graves, les autres tendres : tout est mêlé ; l’agréable et le fort se succèdent au hasard ; le grand touche au très petit, l’austère et le riant se confondent. La réunion la plus singulière de toutes les figures de la musique, de trilles, de volates, de mordenti, de syncopes, de dissonances, peignent, dit-on, fort bien le chaos.

C’est mon esprit qui m’apprend cela : j’admire le talent de l’artiste ; je reconnais bien dans son œuvre tout ce que je viens de dire ; je conviens aussi que peut-être on ne pouvait faire mieux ; mais je demanderais toujours au baron Van Swieten qui eut l’idée de cette symphonie : « Le chaos peut-il se peindre en musique ? Quelqu’un qui n’aurait pas le mot reconnaîtrait-il là le chaos ? » J’avouerai une chose avec candeur, c’est que dans un ballet que Vigano a fait jouer à Milan, et où il a montré Prométhée donnant une âme à des êtres humains non encore élevés