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fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore.

Dans tous les cas de guérison par la musique, il me semble, pour parler en grave médecin, que c’est le cerveau qui réagit fortement sur le reste de l’organisation[1]. Il faut que la musique commence par nous égarer et par nous faire regarder comme possibles des choses que nous n’osions espérer. Un des traits les plus singuliers de cette folie passagère, et de l’oubli total de nous-même, de notre vanité et du rôle que nous jouons, est celui de Senesino, qui devait chanter sur le théâtre de Londres un rôle de tyran dans je ne sais quel opéra : le célèbre Farinelli chantait le rôle du prince opprimé. Ils connaissaient tous deux l’opéra. Farinelli, qui faisait une tournée de concerts en province, arrive seulement quelques heures avant la représentation ; enfin le héros malheureux et le tyran cruel se voient pour la première fois sur le théâtre : Farinelli, arrivé à son premier air, par lequel il demandait grâce, le chante avec tant de douceur et d’expression, que le pauvre tyran, tout en larmes, lui saute au cou et l’embrasse trois ou quatre fois, absolument hors de lui.

  1. On se sent bientôt une barre à l’estomac : ce sont les nerfs du diaphragme qui sont irrités.