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rôle à jouer, nous pouvons nous laisser aller à la musique : or des dispositions précisément contraires sont celles qu’en France nous portons au concert ; c’est même une des circonstances où je me croyais obligé d’être le plus brillant. Mais qu’en vous promenant le matin à Monceaux, assis seul dans un bosquet de verdure, assuré que personne ne vous voit, et tenant un livre, vous soyez tout à coup détourné par quelques accords d’instruments et des voix partant d’une maison voisine, vous distinguiez un bel air, deux ou trois fois vous voudrez reprendre votre lecture, mais en vain : votre cœur sera enfin tout à fait entraîné, vous tomberez dans la rêverie ; et deux heures après, en remontant en voiture, vous vous sentirez soulagé de la peine secrète qui vous rendait malheureux souvent sans que vous vous fussiez bien rendu compte à vous-même de la nature de cette peine secrète ; vous serez attendri, vous serez prêt à pleurer sur votre sort ; vous serez regrettant, et ce sont les regrets qui manquent aux malheureux : ils ne croient plus le bonheur possible. L’homme qui regrette sent l’existence du bonheur dont il jouit un jour, et peu à peu il croira de nouveau possible de réatteindre à ce bonheur. La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au